Voici le deuxième poème de ma collection personnelle des grands classiques de la langue française. Plaisir coupable, j’aime les alexandrins. Leur rythme, les rimes aussi qui produisent une musique quand on les dit. Tout en se pliant à cette gymnastique de l’esprit, nos poètes classiques savaient exprimer clairement leur message. Ce texte de François Fabie n’est pas triste, il nous rappelle la dignité d’être un aîné et nous prépare à l’ultime révérence. Il n’est jamais trop tôt pour y penser.
Savoir vieillir
Vieillir, se l’avouer à soi-même et le dire,
Tout haut, non pas pour voir protester les amis,
Mais pour y conformer ses goûts et s’interdire
Ce que la veille encore on se croyait permis.
Avec sincérité, dès que l’aube se lève,
Se bien persuader qu’on est plus vieux d’un jour.
À chaque cheveu blanc se séparer d’un rêve
Et lui dire tout bas un adieu sans retour.
Aux appétits grossiers, imposer d’âpres jeûnes,
Et nourrir son esprit d’un solide savoir;
Devenir bon, devenir doux, aimer les jeunes
Comme on aima les fleurs, comme on aima l’espoir.
Se résigner à vivre un peu sur le rivage,
Tandis qu’ils vogueront sur les flots hasardeux,
Craindre d’être importun, sans devenir sauvage,
Se laisser ignorer tout en restant près d’eux.
Vaquer sans bruit aux soins que tout départ réclame,
Prier et faire un peu de bien autour de soi,
Sans négliger son corps, parer surtout son âme,
Chauffant l’un aux tisons, l’autre à l’antique foi,
Puis, un beau soir, discrètement souffler la flamme
De sa lampe et mourir parce que c’est la loi.
François Fabié, 1846-1928
Deux autres quatrains s’ajoutent çà et là, selon les éditions :
Puis un soir, s’en aller sans trop causer d’alarmes,
Discrètement, mourir un peu comme on s’endort,
Pour que les tout-petits ne versent pas de larmes
Et qu.il ne sachent que plus tard ce qu’est la mort :
Voilà l’art merveilleux connu de nos grands-pères
Et qui les faisait bons, tendres et vénérés;
Ils devenaient très vieux sans être trop austères,
Et partaient souriants, certains d’être pleurés.
Brillant élève à l’école primaire, François Fabié est reçu premier à l’École normale de Rodez en France. Il part ensuite pour l’École normale spéciale de Cluny en Bourgogne, grâce à une bourse d’étude qui lui est attribuée par le ministre de l’Instruction publique. En 1872, il devient professeur de littérature.
À voir si vous passez dans le sud-ouest de la France :
Le Moulin de Roupeyrac, sa maison natale, est aujourd’hui un musée consacré à sa vie et à son œuvre.